Chez Tardi, le conflit de 1914-1918 n'est pas la Grande Guerre des livres d'histoire, mais bien une Putain de guerre. Impitoyable, cruelle, et absurde. Surtout absurde. Non pas la guerre des généraux en costumes, des traités, des héros et des images d'Epinal, mais un bourbier écoeurant, qui annihile jour après jour des milliers de vies. Une guerre des braves gens, des petites gens, des gens normaux. Qui n'ont rien demandé à personne, qui ne comprennent plus pourquoi ils sont là, mais qui sont bien là. Seuls face au feu, au soufre, au néant. A l'image de l'horreur rébarbative de ce quotidien guerrier, le découpage de Tardi est mécanique. Répétitif. Inlassable. Le dessin est submergé par le gris, poussiéreux, ou le noir de la nuit, de l'ombre des tranchées. Quand la couleur parvient à se faire une place, c'est le rouge qui éclate. Le rouge des explosions, des tripes, des gueules arrachées, de la Croix-Rouge qui panse l'impensable. Des drapeaux communistes aussi, ou des galons des généraux parfois. L'écriture, sèche, clinique, va à l'essentiel. Choque parfois, au détour d'une phrase terrible de détachement. Tardi connaît son sujet, et lui ôte toutes fioritures. Les galeries de portraits de gueules cassées, qui nous fixent, mornes, hagardes, procèdent de la même ambition : montrer la guerre vraie, dans toute sa laideur, sa bêtise, sa démesure. Sans sombrer dans le lyrisme ou l'action ; c'est inutile, l'horreur est déjà là
